Le terme « start-up nation » a été employé la première fois par deux économistes israéliens, Dan Senor et Saul Singer dans leur livre publié en 2009 intitulé : « The Startup Nation : the Story of Israel’s Economic Miracle ». Il désigne, pour un pays, le fait de voir naître et croître sur son territoire des jeunes entreprises innovantes dans le domaine de l’économie numérique et de l’intelligence artificielle qui deviennent par la suite de grandes entreprises cotées en bourse leader mondiales sur leur marché. 

Pour un Etat, l’enjeu de la « start-up nation » est important car les jeunes pousses se situent à la pointe de l’innovation qui, une fois transformée en progrès technique, génère des gains de productivité essentiels pour la croissance économique et donc l’emploi. C’est aussi un enjeu stratégique majeur car disposer sur son territoire de start-up innovantes permet au pays dans lequel elles exercent leur activité de conserver son indépendance dans le domaine technologique.

La France, par l’intermédiaire de l’ex-ministre de l’économie numérique Fleur Pellerin en 2013, puis du Président Emmanuel Macron en 2017, a publiquement affiché son ambition de figurer parmi les pays répondant à la définition d’une « start-up nation ».

Dans ce contexte, il apparaît que si la France dispose de nombreux atouts en matière d’innovation technologique et peut être qualifiée de start-up nation, elle demeure cependant encore loin des pays leaders dans ce domaine, notamment en raison d’une insuffisance des offres de financement adaptés à leurs besoins spécifiques.

Elle a cependant mis en place une politique ambitieuse pour combler son retard et promouvoir le développement et le maintien des start-up technologiques sur son territoire.

 

Malgré des atouts en matière d’innovation technologique, la « start-up nation » France reste encore loin des pays leaders dans le domaine.

 

Le rapport Tibi1 de juillet 2019 intitulé « Financer la quatrième révolution industrielle – Lever les verrous du financement des entreprises technologiques » rappelle ainsi que la France dispose de nombreux atouts en matière de capacités d’innovations technologiques, notamment le fait de pouvoir compter sur :

- Une recherche amont de haut niveau : la France se place au 7ème rang mondial par le nombre de ses publications scientifiques (3,2% du total sur la période 2014-2016) ;

- Un investissement total en R&D d’environ 60 Milliards de dollars, au sixième rang mondial (3,5% du total en 2016) ;

- Des nombreux ingénieurs et scientifiques de qualité : près de 50 000 ingénieurs et docteurs sont diplômés chaque année d’écoles et universités reconnues mondialement (exemples : Universités

Pierre et Marie Curie, Paris-Saclay, de Strasbourg, Grenoble Alpes, Montpellier et d’Aix Marseille, Ecole polytechnique, Mines ParisTech, CentraleSupélec, Télécom ParisTech, ESPCI ParisTech,….) ;

- Un fort esprit entrepreneurial : 60% des 18-29 ans souhaitent créer leur entreprise d’après un sondage « OpinionWay » de janvier 2017 ;

- Une grande tradition industrielle et de nombreuses grandes entreprises d’élite ayant réussi à devenir des leaders mondiaux ou européens de leur secteur, comme -entre autres- Air Liquide, Airbus, Capgemini, Dassault-Systèmes, Engie, Essilor, Legrand, Saint-Gobain, Schneider Electric, Sodexo, ou Vinci ;

- Une épargne financière très abondante, représentant plus de 5 000 milliards d’euros pour les ménages ;

- Enfin, l’appartenance à l’Union européenne (UE), qui procure aux firmes françaises l’accès au marché unique dans la première région économique du monde, à la libre circulation des talents, au libre établissement au sein de l’UE, à la participation aux grands projets technologiques et scientifiques, à l’accès à un financement peu coûteux.

De fait, la France est devenue, selon le cabinet de conseil Ernst & Young, l’un des principaux écosystèmes d’entreprises innovantes en Europe et dans le monde.

Les chiffres sur les levées de fonds des jeunes pousses du secteur technologique français confirment que la France peut désormais bien être considérée comme une véritable « star-tup nation » : depuis 2013, les montants levés par les jeunes entreprises innovantes (start-up) ont été multipliés par plus de 5 avec un montant total de l’ordre de 5 milliards d’euros en 2019 lors de 736 opérations. En 2019, la France comptait également 7 « licornes », des start-up qui ont passé l’obstacle des premières années d’existence alors que beaucoup échouent à ce stade, qui ont réussi à développer fortement leur activité et dont la valorisation dépasse le milliard de dollars alors qu’elles ne sont pas encore rentables ni cotées en bourse. Des start-ups comme BlaBlaCar, Deezer, OVH, Meero ou encore Doctolib entrent dans cette catégorie.

Toutefois, la France ne fait pas figure de nation leader dans le domaine des start-up technologiques, comme le souligne le rapport Tibi qui indique que « les résultats de la France des jeunes entreprises technologiques ne reflètent pas cette position favorable ». Elle ne se situe ainsi qu’au troisième rang européen pour les levées de fonds des jeunes pousses, juste derrière l’Allemagne (6 milliards d’euros levés en 2019) mais encore très loin du Royaume-Uni (11,5 milliards d’euros de fonds levés). Au niveau mondial, l’écart est encore plus marqué vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine qui à eux seuls totalisent plus de 80% du nombre de licornes. Selon le cabinet d’études CB Insight, la France n’était ainsi au début 2019 que la 7e nation la plus représentée dans le classement mondial des 334 licornes alors répertoriées, à égalité avec Israël et l’Indonésie.

Cette relative sous-performance de la France en matière de « start-up nation » s’explique principalement par les insuffisances du mode de financement des jeunes pousses qui souffre, toujours selon le rapport Tibi, d’un manque crucial d’investisseurs spécialisés et d’une réglementation prudentielle peu incitative pour les investisseurs institutionnels.

 

Les offres de financements des start-up ne sont pas suffisamment adaptées à la spécificité de leurs besoins, notamment dans les phases les plus avancées de leur croissance.

La particularité d’une start-up, c’est notamment le fait qu’elle se développe très rapidement avec un chiffre d’affaires qui progresse à un rythme souvent supérieur à 40% par an pendant les trois premières années de son existence. Pour pouvoir suivre ce rythme, par exemple pour embaucher de nouveaux et nombreux collaborateurs, elle doit trouver des financements adaptés à sa situation spécifique caractérisée par des besoins de trésorerie importants ainsi que par la réalisation et l’accumulation de pertes souvent élevées. Or, avant que la start-up parvienne à s’imposer sur son marché et ainsi valider son modèle économique, il peut s’écouler plusieurs années au cours desquelles sa rentabilité restera négative. Elle peut même ne jamais réussir à développer son offre de façon rentable et finalement défaillir, ce qui constitue d’ailleurs le cas de figure le plus fréquent.

Dans ces conditions, il ne lui est pas possible de trouver des financements bancaires classiques car les établissements de crédit n’accordent pas de prêts à des emprunteurs dont la rentabilité est négative et le risque de défaillance élevé. Les start-up ont donc besoin de recourir à des modes de financement différents qui reposent principalement sur des apports en fonds propres, c’est-à-dire en capital. L’investisseur qui acquiert des parts du capital social de la start-up en devient donc actionnaire et accepte de ce fait de prendre le risque de l’échec (il perdrait alors tout ou partie de son apport), mais il peut aussi espérer une très forte appréciation de son investissement en cas de succès (il pourrait alors revendre ses actions avec une forte plus-value).

Schématiquement, les types de financement des start-up peuvent être décomposés en 5 phases :

· Une phase de financement du décollage (capital risque amorçage et capital-risque création) avec des montants à financer jusqu’à 5 millions d’euros ;

· Une phase de financement de la croissance (early stage ou capital développement) avec des levées de fonds comprises entre 5 et 20 millions d’euros ;

· Une phase de consolidation de la croissance (capital croissance) avec des montants financés supérieurs à 20 millions d’euros ;

· Une phase avancée de croissance (late stage, growth equity) qui nécessite des apports supérieurs à 50 millions d’euros ;

· Une phase de pré-cotation en bourse (pré-IPO) qui correspond à des levées de fonds supérieurs à 100 millions d’euros.

Si comme le souligne le rapport Tibi, le système français de financement des trois premiers stades de développement des start-up est assez performant, grâce à la présence de Business Angels pour les fonds d’amorçage et surtout de sociétés de capital-risque et de capital développement pour permettre de financer la validation de l’offre et son lancement commercial (l’early stage) puis la phase de forte croissance de l’activité (capital croissance), c’est nettement moins vrai pour les deux étapes suivantes en raison d’une insuffisance de fonds dédiés à ce type d’investissement.

Le Baromètre 2019 du capital risque en France, publié par le cabinet Ernst&Young, montre ainsi que les montants financés par les sociétés de capital-risque et capital développement se sont montés à près de 4,5 milliards d’euros en 2019, ce qui place la France en deuxième position en Europe derrière le Royaume-Uni, mais à seulement 580 millions d’euros et 4 opérations pour le « growth equity », loin derrière les montants levés en Allemagne (près de 3 milliards d’euros pour 12 opérations) et surtout le Royaume-Uni (4,2 milliards d’euros pour 13 opérations). Les très gros « tours de table » de plus de 100 millions d’euros restent très rares en France et sont généralement menés par des fonds étrangers anglo-saxons.

Or, cette situation n’est pas optimale car la faiblesse de l’offre de financement pour les tranches élevées de levées de fonds -qui correspondent aux phases d’accélération de la croissance ou de pré -introduction en bourse- constitue un frein important au développement des start-up en France, et une explication du nombre relativement peu élevé de licornes sur le territoire national. Les conséquences pour le dynamisme de notre économie et sa capacité d’innovation peuvent se révéler très dommageables. D’une part, parce que ce manque d’offres de financements importantes (de plus de 30 millions d’euros) peut exposer les start-up françaises au risque de se faire distancer par des concurrents étrangers mieux financés. D’autre part, parce qu’il peut inciter les jeunes pousses innovantes soit à s’implanter aux Etats-Unis afin d’y obtenir beaucoup plus facilement les financements adaptés à leurs besoins soit par des capital-risqueurs, soit à se faire racheter par une entreprise étrangère. Le risque est ainsi qu’après que leur croissance ait été financée par l’épargne nationale, les jeunes pousses françaises deviennent de simples prestataires de grandes entreprises étrangères qui aspirent leur capacité d’innovation et leur faculté à créer de la valeur et des emplois.

 

La France a défini une politique ambitieuse pour promouvoir le développement et le maintien de start-up technologiques sur son territoire.

A la suite du rapport Tibi, le gouvernement français a décidé de mettre en œuvre un programme d’action ambitieux destiné à placer la France en leader européen de l’écosystème start-up.

Ce programme d’action s’articule autour de trois axes :

· Favoriser le développement d’une offre de financement spécifiquement tourné vers le segment de l’hyper-croissance et de la préparation à l’entrée en bourse.

Sollicités par le gouvernement, une vingtaine d’investisseurs institutionnels se sont engagés à consacrer au total 6 milliards d’euros au financement des entreprises innovantes sur trois ans, à l’horizon de décembre 2022. Cette somme se répartit pour moitié entre des entreprises non cotées en phase de late stage et des investissements dans des valeurs technologiques cotées.

Cette initiative, qui complète l’action de la BPI en faveur du financement du late stage (1 milliard d’investissement prévu sur la période 2019-2022), vise à aider les start-up en hyper-croissance à lever des fonds supérieurs à 50 millions d’euros mais aussi à soutenir les introductions en bourse des entreprises technologiques innovantes. Concrètement, les investisseurs institutionnels s’engagent à financer des fonds français de capital-investissement (private equity, ou financement des entreprises non cotées par prise de participation au capital) ayant une stratégie de financement du late stage ou en confiant des mandats à des fonds gérés par des gestionnaires d’actifs basés en France spécialisés sur l’investissement dans les valeurs technologiques cotées.

· Accompagner les entreprises françaises innovantes les plus prometteuses en leur proposant des offres de services administratifs adaptés à leur spécificité.

Dans ce but, le programme « French Tech 120 » a été élaboré. Il vise à simplifier les démarches administratives de 120 entreprises françaises en hyper croissance jugées comme les plus prometteuses et à les aider à surmonter le plus rapidement possible les obstacles qu’elles peuvent rencontrer dans les domaines des relations avec les administrations, l’accès aux marchés internationaux ou encore le recrutement des talents dont elles ont besoin. Pour ce faire, ces 120 start-up bénéficient d’un accès privilégié et prioritaire aux services de l’Etat grâce à la création d’une cinquantaine de correspondants French Tech au sein des administrations et services publics.

· Faciliter le recrutement des meilleurs talents.

Selon le baromètre annuel Ernst&Young 2019 sur les performances économiques et sociales des start-up, la difficulté à recruter des talents constitue la première des barrières à leur développement. 71% des start-up interrogées citent en effet cette difficulté de recrutement (surtout des commerciaux et des développeurs) comme un des principaux freins à leur croissance, alors que celle à trouver du financement n’est citée que dans 40% des cas. Afin de remédier à cette situation, le « French Tech Visa » permet depuis mars 2019 une procédure accélérée pour l’obtention d’un titre de séjour pluriannuel en faveur de talents étrangers pour qu’ils puissent être recrutés rapidement et s’installer avec leur famille en France. La loi PACTE vise également à faciliter le recrutement de talents issus de la recherche universitaire, notamment en autorisant ces derniers à conserver parallèlement des fonctions dans leur laboratoire de recherche.

 

L’objectif de ce programme est de porter le nombre de licornes en France de 7 aujourd’hui à 25 en 2025 et de faire ainsi émerger plusieurs dizaines de leaders technologiques mondiaux, avec des enjeux également en matière d’emplois et de souveraineté.

Les 6 milliards d’euros d’investissements annoncés sur la période 2019-2022 restent toutefois très inférieurs aux 20 milliards d’euros recommandés par le rapport Tibi. Mais ils devraient permettre de créer un effet d’incitation essentiel pour véritablement faire décoller l’activité de financement du « late stage » et du pré-IPO en France qui constituent le point faible et pourtant central pour la start-up nation France.

 

Retrouvez aussi notre vidéo sur les start-up !

 

Principales sources utilisées :

La French Tech : « Faire émerger des leaders technologiques de rang mondial », septembre 2019

Rapport Tibi, « Financer la quatrième révolution industrielle ; Lever le verrou du financement des entreprises technologiques », juillet 2019

Ernst&Young, Baromètre 2019 sur les performances économiques et sociales des start-up

La Tribune, « French Tech : déjà 4 méga-levées de fonds en 2020…autant qu’en 2019 », 3 février 2020

La Tribune, « Les zinzins donneront finalement 6 milliards d’euros pour la French Tech », 13 janvier 2020

Le Monde, « L’Elysée annonce un plan pour muscler le financement des start-up françaises », 17 septembre 2019


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Publié le 08 Avril 2020. Mis à jour le 20 Novembre 2023