Les travaux menés depuis le début des années 1990 par le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) ont abouti au constat que les températures moyennes sur Terre avaient augmenté de 1 degré Celsius environ entre la fin du XIXᵉ et le début du XXIᵉ. Ils ont également montré que cette hausse des températures étaient liées aux émissions de gaz à effet de serre générées par les activités humaines, et, plus particulièrement, par l’exploitation des énergies fossiles dont la combustion génère d’importants rejets de gaz carboniques dans l’atmosphère.

D’après les conclusions du GIEC, la poursuite d’un mode de production basé sur l’utilisation du charbon, du gaz et du pétrole provoquerait une hausse des températures moyennes d’au moins 1,5 degrés Celsius d’ici 2050 et de plus de 3 degrés Celsius d’ici la fin du 21e siècle par rapport à la période préindustrielle. Si rien n’est fait pour la stopper, cette hausse des températures entraînerait un dérèglement climatique mondial de grande ampleur aux conséquences désastreuses pour l’environnement et qui pourrait remettre en cause à terme la présence de la vie sur Terre. Face à ce constat, le GIEC appelle les gouvernements à prendre les mesures nécessaires pour réduire drastiquement les émissions de gaz carbonique et pour aboutir à la neutralité carbone d’ici 2050, c’est-à-dire à une compensation intégrale des émissions de gaz à effet de serre par la capture d’une quantité équivalente de gaz carbonique. Troisième émetteur de gaz à effet de serre derrière les Etats-Unis et la Chine, l’Union européenne a décidé d’agir pour lutter contre le réchauffement climatique mondial et a obtenu des premiers résultats encourageants. Mais dans un domaine qui reste du ressort de la compétence propre des Etats, l’objectif de neutralité carbone constitue un véritable défi qui sera plus difficile à atteindre.

 

L’Union européenne s’est très tôt engagée dans une politique volontariste de lutte contre le changement climatique

L’engagement de l’Europe dans le domaine environnemental remonte au début des années 1970 avec la déclaration de Paris de 1972 qui annonce le lancement d’un premier plan d’actions pour l’environnement. Par la suite, avec l’Acte Unique européen de 1986, le terme « Environnement » est inscrit dans les traités, puis le traité d’Amsterdam de 1997 définit le développement durable comme objectif de l’Union. Mais c’est surtout à partir de 2000 et le traité de Lisbonne que la lutte contre le changement climatique devient une priorité pour l’Europe du fait même de son ajout aux traités de l’Union.Ainsi, dès 2007 et dans le cadre du protocole de Kyoto signé 10 ans plus tôt, l’Europe s’engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 8% entre 2008 et 2012 par rapport à l’année 1990. Fin 2008, l’Europe décide de poursuivre son effort avec la mise en œuvre d’un « paquet climat-énergie » qui définit à l’horizon 2020 un triple objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et d’amélioration de l’efficacité énergétique de 20% par rapport aux niveaux de 1990.

En octobre 2014, le Conseil européen a adopté le projet de la Commission prévoyant de rehausser ces trois objectifs à l’horizon de l’année 2030. En particulier, la réduction des émissions de gaz à effet de serre est désormais fixée à 40% par rapport aux niveaux de 1990 et la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie à 27%. Signataire de l’accord de Paris de 2015, l’Europe s’est également formellement engagée à tout mettre en œuvre pour limiter le réchauffement climatique mondial d’ici 2100 à moins de 2 degrés Celsius, voire moins de 1,5 degrés Celsius par rapport à la période préindustrielle. Dans cette optique, une première décision a été de remonter l’objectif de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie en 2030 à 32%. Par la suite, l’Europe prévoit d’atteindre d’ici 2050 une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95% par rapport au niveau de 1990.

Afin de pouvoir tenir ses objectifs, l’Union européenne dispose de plusieurs instruments :

  • La réglementation constitue l’un des pivots de sa stratégie. Les niveaux de taxation de la consommation des produits énergétiques relèvent par exemple du domaine de la réglementation européenne. Par ailleurs, les Etats membres sont tenus d’adopter des plans nationaux en matière d’énergie et de climat (PNEC) pour la période 2021-2030 ainsi que des stratégies nationales à long terme cohérentes avec leurs PNEC.
  • Le financement de projets européens en matière de transition énergétique passe par le budget de l’UE qui y est consacré (soit 200 milliards d’euros sur la période 2014-2020), ainsi que par le Fonds Européen d’investissements stratégiques (FEIS) et par la Banque Européenne d’Investissements (BEI). Cette dernière octroie des prêts à taux préférentiels à des banques commerciales partenaires (comme HSBC ou le Crédit Agricole) pour qu’elles puissent notamment aider les PME et les collectivités européennes dans leurs investissements dans le domaine de la transition énergétique. La BEI participe également financièrement à deux fonds d’investissements spécifiquement dédiés à cette dernière : le fonds Pearl Infrastructure et le fonds Breakthrough energy ventures Europe. Un quart environ des financements de la BEI est de fait dirigé vers des projets visant à la protection de l’environnement ou à la transition énergétique et, par un effet de levier lié aux garanties qu’elle met en place au profit des prêteurs, ses interventions lui permettront de mobiliser près de 1,7 milliard d’euros en faveur du verdissement de l’économie européenne.
  • L’Union européenne s’est par ailleurs dotée d’un système d’échange de quotas d’émission de CO² également dénommé marché des droits à polluer. Mis en œuvre en 2005, il plafonne les émissions globales de gaz à effet de serre autorisées et, dans cette limite permet aux entreprises fortement consommatrices d’énergie, et générant par conséquent d’importantes émissions de gaz à effet de serre, d’acheter ou de vendre des droits à polluer selon le principe du pollueur-payeur. Ce système vise ainsi à inciter les plus gros émetteurs de CO² à investir dans des modes de production plus respectueux de l’environnement plutôt qu’à acquérir des droits à polluer dont le nombre d’allocations disponibles diminue chaque année. Le marché du carbone européen n’a toutefois pas fonctionné comme escompté initialement car, du fait de la crise économique de 2008, l’activité des entreprises polluantes s’est fortement réduite et le prix de la tonne de carbone émise (le droit à polluer) s’est effondré et est resté longtemps à un niveau trop faible (5€) pour être efficace. Depuis septembre 2018, du fait d’une politique plus volontariste de la part de l’Union européenne, le prix est toutefois remonté pour atteindre 25€ à l’été 2019, un niveau à partir duquel l’incitation à investir dans les technologies propres devient plus significative.

 

L’Europe a obtenu des premiers résultats encourageants dans sa lutte contre les émissions de gaz à effet de serre

Grâce essentiellement à ses initiatives réglementaires, l’Union européenne a réussi à engager ses Etats membres dans une dynamique de transformation du système de production énergétique. En particulier, l’accent a été mis sur le remplacement progressif de l’exploitation des énergies fossiles génératrices de gaz à effet de serre par des énergies renouvelables -solaire, éolien, biomasse, hydroélectricité, géothermie- qui ne rejettent pas ou très peu de gaz carbonique dans l’atmosphère et qui ont la capacité de se renouveler naturellement, contrairement aux énergies fossiles qui ne sont disponibles qu’en quantité limitée. De fait, la production d’énergie renouvelable dans l’UE a progressé de 64% entre 2007 et 2017. Ainsi, à un an de l’échéance fixée en 2008, les objectifs fixés dans le cadre du « paquet climat énergie » sont en passe d’être atteints puisque les émissions de gaz à effet de serre en Europe en 2016 étaient inférieures de 23% à celles de 1990 et que les énergies renouvelables représentaient 17,5% de l’énergie consommée dans l’Union européenne en 2017. L’efficacité de la politique européenne en matière de transition énergétique n’est toutefois pas clairement démontrée. Certains observateurs mettent en avant le fait que la réussite probable de l’UE dans l’atteinte de ses objectifs du paquet énergie climat tient au moins autant aux mesures adoptées qu’au ralentissement économique mondial qui a entraîné une réduction de fait de la production européenne et donc de ses émissions de gaz à effet de serre.

Par ailleurs, bien que l’UE et les Etats membres aient mis en place des dispositifs visant à favoriser la décarbonation et l’innovation dans le secteur de l’énergie, dans le même temps les subventions aux énergies fossiles en Europe n’ont pas diminué. Ainsi, sur la période 2008-2016, ces dernières sont restées stables à 55 milliards d’euros annuels. C’est pourquoi l’intensité émissive de la production électrique européenne n’a que faiblement baissé (-15% seulement entre 2010 et 2016), l’expansion des énergies renouvelables ne s’étant pas réalisée au détriment des centrales thermiques et, en particulier, des centrales au charbon qui sont fortement émettrices de CO².

Enfin, la stratégie de l’UE en matière de lutte contre les gaz à effet de serre repose aussi sur le fait de pouvoir tirer profit des complémentarités entre les bouquets énergétiques nationaux et ainsi construire un marché intérieur intégré de l’énergie qui permettrait de répondre en partie aux besoins croissants de flexibilité générés par le déploiement d’énergies renouvelables dont les capacités de production sont par nature intermittentes. Cependant, dans ce domaine, l’Europe est en retard puisque l’association regroupant les distributeurs d’électricité européens (ENTSO-E) n’existe que depuis 2009 et que les 41 distributeurs qui en font partie demeurent des acteurs nationaux ou locaux.  La coopération entre les réseaux de distribution, essentielle pour assurer le bon fonctionnement des interconnexions des réseaux de transport d’électricité, doit encore se renforcer.

 

La neutralité carbone sera un objectif plus difficile à atteindre en raison des dissensions internes en Europe dans le domaine énergétique

La Commission européenne ainsi que le Parlement européen proposent de relever une nouvelle fois les objectifs en termes de réduction d’émissions de CO² pour viser la neutralité carbone à l’horizon 2050. Dans cette optique, la Commission européenne a défini une stratégie à long terme avec sept leviers d’action qui comprennent notamment le renforcement de l’efficacité énergétique et le déploiement des énergies renouvelables pour lesquels elle envisage de consacrer 25% du budget européen pour la période 2021-2027 (contre 20% sur la période 2014-2020). Elle estime également que l’objectif de neutralité carbone devrait nécessiter des investissements annuels de l’ordre de 2,8% du PIB de l’Union au lieu des 2% actuels. Dans ce contexte, la Commission européenne propose aussi la création d’un fonds de transition énergétique dont le but serait d’encourager les territoires dépendants des énergies fossiles à s’en détacher progressivement.

Outre les aspects purement environnementaux, cet objectif de neutralité carbone vise également à réduire drastiquement la dépendance de l’Union européenne à l’égard des importations de produits énergétiques d’origine fossile (essentiellement le pétrole et le gaz importés respectivement à hauteur de 90% et 76%) dont la facture représente quelque 300 milliards de dollars par an.Cependant, tous les Etats membres de l’UE n’ont pas la même implication dans l’objectif de transition énergétique. Or, les choix technologiques en matière de production énergétique restent du domaine de la souveraineté nationale. En particulier, la question du charbon constitue un sujet de discorde susceptible de freiner la marche de l’Europe vers une économie entièrement décarbonée d’ici 2050.

L’extraction et la combustion du charbon demeure une activité très importante dans l’est de l’Europe, notamment en Pologne, en Hongrie, en République tchèque et en Estonie. Dans ces pays, son utilisation dans la production d’électricité concourt de façon déterminante à la compétitivité industrielle du fait de la faiblesse de son coût. C’est la raison pour laquelle ce groupe de pays s’est opposé au projet de la Commission européenne de réévaluation des objectifs d’émissions pour 2030, contrairement à ce qui a pu être décidé pour les énergies renouvelables ou l’efficacité énergétique. L’Allemagne, dont la production électrique provient à hauteur de 37% du charbon, a adopté un objectif de fermeture définitive de ses centrales fonctionnant à partir du lignite à l’horizon 2035-2038, mais compte tenu des enjeux économiques et sociaux ses efforts en ce domaine risquent de rester trop lents pour être compatibles avec des objectifs de réduction des émissions carbonées plus ambitieux que ceux programmés à l’horizon 2030.

L’absence d’entente entre les Etats membres sur la question de l’utilisation du charbon dans le mix énergétique explique aussi en partie l’échec des négociations sur la tarification du carbone, la proposition d’instaurer un prix plancher en complément du marché des droits à polluer n’ayant pas été acceptée, notamment en raison de l’opposition de la Pologne et des réticences de l’Allemagne. Dans ces conditions, il paraît difficile de voir dans le marché des droits à polluer un outil efficace pour parvenir à la décarbonation du mix énergétique européen. Au total, entre l’importance des investissements qu’il rend nécessaires, la réticence de certains Etats membres dont la production électrique reste très dépendante du charbon et les conséquences sociales d’une telle transition énergétique, l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 proposé par les instances européennes semble particulièrement ambitieux.

Mais au-delà des considérations financières, politiques ou sociales, deux autres aspects devraient également être pris en compte pour que l’Europe puisse s’engager efficacement sur la voie de la neutralité carbone :

  • D’une part, la transition énergétique représentant un choc de compétitivité pour l’économie européenne, se pose la question de la compensation à demander aux partenaires commerciaux. Cela pourrait passer, par exemple, par l’exigence de la mise en place de dispositifs analogues ou, à défaut, par des barrières tarifaires à l’entrée de l’UE pour les produits et services en provenance des pays tiers ne respectant pas les accords de Paris, à l’instar de la proposition formulée par le prix Nobel d’économie 2018 William Nordhaus de création d’un club des pays engagés dans la réduction des émissions de CO²et de l’instauration d’une écotaxe uniforme à l’encontre des pays non participants.
  • D’autre part, le sujet des modalités du passage d’un modèle économique fondé sur l’exploitation des énergies fossiles à une économie entièrement décarbonée ne pourra être écarté. En particulier, la question du recours à des énergies décarbonées ou faiblement carbonées- complémentaires aux énergies renouvelables devrait aussi être soulevée pour proposer une solution au problème des déficits de production générés par l’intermittence de leur fonctionnement.

 

 

 

 


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Publié le 15 Octobre 2019. Mis à jour le 05 Janvier 2021