La spéculation de court terme sur le marché des actions, dénommée « trading », se définit comme le fait d’acheter et de revendre très rapidement des titres de sociétés cotées dans le seul but de réaliser des gains de faibles montants mais en grand nombre. En ce sens, elle s’oppose à la notion d’investissement qui consiste à acquérir des titres pour les conserver sur le moyen/long terme et réaliser des gains à cet horizon temporel. Les investisseurs en actions sont utiles à l’économie réelle, soit parce qu’ils souscrivent aux nouvelles émissions de titres et financent ainsi directement les entreprises qui les placent sur le marché primaire, soit parce qu’ils rachètent des titres sur le marché secondaire et participent ainsi indirectement au dynamisme du marché primaire. La question qui se pose est celle de savoir en quoi les spéculateurs de court terme -les traders- sont utiles, et s’ils le sont, faut-il réguler leur comportement ou taxer leur activité ?

En fait, il apparaît que la spéculation de court terme est très utile car elle améliore le fonctionnement du marché des actions. Mais son activité peut également se révéler déstabilisante, notamment depuis l’apparition du phénomène des robots-traders, ce qui justifie qu’elle soit encadrée. La  taxation des transactions boursières spéculatives, bien que souhaitable, pose toutefois le problème de son efficacité dans une finance globalisée.

La spéculation de court terme améliore le fonctionnement du marché des actions

La spéculation de court terme sur le marché des actions s’exerce essentiellement par des intervenants professionnels dénommés « traders ». Leur métier consiste à acheter et vendre des actions cotées sur le marché secondaire durant une même journée de cotation en Bourse et de dégager un profit (net des coûts de transaction) en jouant sur la différence entre le prix d’achat et le prix de revente.

Étant donné le caractère volatil du cours d’une action, c’est-à-dire le fait que son prix fluctue à la hausse comme à la baisse en fonction de la confrontation des ordres de vente et d’achat, le trader n’est jamais certain de pouvoir réaliser un gain avec ses opérations. Il est même susceptible d’enregistrer des pertes s’il fait de mauvais choix. Le métier de trader est donc très risqué. De fait, sa rémunération dépend de sa capacité à anticiper correctement les évolutions journalières du cours de certaines actions et pour ce faire d’être constamment à la recherche des informations pertinentes. Il doit aussi pouvoir exploiter efficacement celles-ci en intervenant très rapidement à l’achat ou à la vente des titres et pour cela il doit être constamment « sur le marché » de l’ouverture à la clôture de la séance.

C’est cette dernière particularité qui rend les traders « utiles » aux marchés des actions. De par leur activité, ils animent le marché secondaire et lui permettent de ce fait de fonctionner de façon efficace :

  • d’une part parce que la multiplication des ordres d’achat et de vente de titres dont ils sont à l’origine permet de déterminer le « juste » prix des actions, c’est-à-dire celui qui reflète le mieux leur vraie valeur compte tenu des informations disponibles sur les entreprises concernées. Les traders améliorent donc, par leur activité, l’information  des autres intervenants sur le marché.
  • d’autre part, parce qu’ils assurent la liquidité du marché en se portant contrepartie des autres intervenants auxquels ils achètent les titres qu’ils cèdent,  ou à l’inverse, en leur fournissant les actions qu’ils souhaitent acquérir.

Si ces deux arguments montrent que l’activité de spéculation est bénéfique au fonctionnement du marché des actions, l’analyse empirique montre toutefois que cela n’est pas toujours le cas.

La spéculation peut conduire à l’apparition de bulles

Selon la théorie financière classique, les agents intervenants sur les marchés sont supposés se comporter de façon parfaitement rationnelle, et les marchés financiers sont eux-mêmes efficients, c’est-à-dire que leur fonctionnement permet de facto d’aboutir à une allocation optimale de l’épargne vers les projets les plus économiquement viables et rentables. Dans ce contexte, les cours boursiers reflètent la valeur fondamentale des actifs cotés et la spéculation est stabilisante car elle corrige tout écart des cours par rapport à cette valeur fondamentale par des mouvements d’achats ou de ventes des titres sous ou sur cotés.

Toutefois, cette conclusion repose sur l’hypothèse de départ selon laquelle les agents intervenants sur les marchés financiers sont parfaitement rationnels. Or, cette hypothèse est trop forte comme le soutient la théorie de la rationalité limitée, notamment parce que les agents économiques n’ont pas toujours un accès illimité à l’information.

L’analyse empirique montre également que certains intervenants adoptent un comportement moutonnier, suivant en cela les positions prises par les autres opérateurs sans rechercher par eux-mêmes l’information utile à toute décision rationnelle. Ces mêmes agents agissent de façon irrationnelle en spéculant sur la hausse des cours de titres sans rapport avec leur valeur fondamentale, favorisant ainsi la formation de « bulles spéculatives » dont l’éclatement entraîne généralement des effets particulièrement déstabilisants pour les marchés financiers et l’économie réelle, comme avec l’exemple de la bulle « internet » en 2000.

Ce constat montre qu’il existe une assez forte hétérogénéité des intervenants sur les marchés financiers, qui n’agissent pas toujours rationnellement, et que de ce fait la spéculation ne joue pas forcément un rôle naturellement stabilisateur, contrairement à ce qu’affirme la théorie financière classique.

La spéculation réalisée par les « robots traders » peut conduire à retirer de la liquidité sur les marchés des actions

La spéculation sur le marché des actions est de plus en plus réalisée par des « robots traders » désignés sous le nom générique de « Trading à Haute Fréquence » (THF) qui sont en fait des programmes informatiques extrêmement sophistiqués capables d’exécuter automatiquement des milliers de transactions boursières en quelques millisecondes grâce à des serveurs connectés directement aux systèmes de cotation des bourses.

Le trading à haute fréquence est très présent dans les activités de tenue des marchés des actions, activités qui ont pour rôle de gérer l’animation de ces marchés en plaçant les ordres d’achats et de ventes de titres émanant de leur clientèle tout en cherchant à profiter des variations de cours pour réaliser des marges unitaires faibles mais extrêmement nombreuses. De ce fait, leurs interventions – qui représentent environ 60% des volumes traités sur le marché des actions d’Euronext Paris –  apportent a priori de la liquidité aux marchés.

Toutefois, ce constat se doit d’être nuancé car les opérateurs de THF concentrent leurs interventions sur les actifs qui sont déjà les plus liquides. La liquidité ainsi apportée par le THF profite donc surtout aux traders les plus rapides, c’est-à-dire essentiellement aux opérateurs de THF eux-mêmes, sans bénéficier aux autres titres qui en auraient plus besoin.

En outre, les opérateurs de THF n’ont pas d’obligation de fournir de la liquidité. Ils peuvent donc se retirer à tout moment et ainsi accentuer les crises de liquidité lors de périodes de stress des marchés, comme lors du flash crash du 6 mai 2010. Ce jour-là, la Bourse de New-York a perdu 1000 points en à peine 30 minutes sans raison apparente, avant de se ressaisir en partie. La plupart des actions cotées ont été touchées et l’indice de référence, le Dow Jones Industrial Average (DJIA), a baissé d’environ 9%. Au cours de cet épisode, le THF avait fortement contribué à la chute rapide des cours en retirant des liquidités (en vendant massivement de grosses quantités d’actions) au lieu d’en apporter et ont ainsi contribué à assécher le marché.

Une étude publiée par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en janvier 2017 (https://www.amf-france.org/Publications/Lettres-et-cahiers/Risques-et-tendances/Archives?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F619a82db-11ea-4544-a03e-991b7af2864d) sur l’activité du THF sur le marché Euronext Paris, entre novembre 2015 et juillet 2016,  montre que si les opérateurs de THF sont bien présents sur le marché boursier en qualité de market makers (tenue de marché), ils réduisent leur présence lors des périodes de stress (avant des annonces importantes susceptibles d’impacter les cours, ou lorsque la volatilité augmente). Ils se retirent alors du marché avant les autres intervenants, justement au moment où il serait nécessaire qu’ils jouent leur rôle de « coussin amortisseur ».

L’étude de l’AMF indique également que les THF passent plus souvent des ordres « agressifs », qui s’exécutent immédiatement et retirent donc de la liquidité, que des ordres « passifs », qui sont déposés dans le carnet d’ordres dans l’attente d’être exécutés et apportent de la liquidité au marché.

En somme, l’étude de l’AMF dresse un bilan plutôt négatif quant à l’utilité du THF puisqu’elle conclut que dans l’ensemble, ils consomment plus de liquidité qu’ils n’en apportent et que cela est notamment le cas lors des périodes de volatilité importante.

Les techniques d’intervention des opérateurs de THF peuvent même parfois s’avérer néfastes pour le bon fonctionnement du marché. Il en va ainsi, notamment, du phénomène de « liquidité fantôme » qui leur est attribué et qui résulte du fait que des volumes importants peuvent apparaître dans plusieurs carnets d’ordre mais ne représenter en fait qu’un seul opérateur de THF qui démultiplie sa position et qui peut ensuite la faire disparaître à la moindre interaction.

La pratique de la « liquidité piège », qui consiste à se positionner sur un ou plusieurs carnets dans le seul but de capter des informations sur les intentions des concurrents, est aussi une technique utilisée par les THF.

Ces fausses liquidités réduisent en fait la transparence du marché des actions et peuvent amener les investisseurs à s’interroger sur sa capacité réelle à fournir des prix des actions représentatifs de la véritable valeur des entreprises cotées, et ce d’autant plus que le THF peut facilement conduire à des dérives constitutives de manipulations de cours comme la révélation et jugement de diverses affaires en France et au niveau international l’ont montré au cours des dernières années (affaires VIRTU en 2015, Getco en 2016, 3Red Trading en 2017, affaire Crédit Suisse-Barclays en 2016 aux États-Unis).

La réglementation du trading à haute fréquence est récente

À partir de 2010, des mesures destinées à réglementer l’activité du THF ont été introduites aux États-Unis. La SEC (Securities and Exchange Commission), qui a pour mission de surveiller les marchés financiers et de prononcer des sanctions en cas de non-respect des règles, dispose de trois outils réglementaires à ce titre :

  • Le Market Information Data Analytics System (MIDAS) de 2013. Les THF doivent dorénavant enregistrer et fournir tous les ordres réalisés, modifiés, annulés et échoués, à la SEC. La surveillance des marchés est ainsi plus efficace, les comportements illégaux tels que la manipulation de cours sont plus facilement observables et sanctionnés.
  • Le Regulation Systems Compliance and Integrity (RSCI) de 2013. L’objectif ici est d’instaurer de nouvelles normes sur les tests et les mises à jour des algorithmes de trading. Cela concerne les entreprises de marché et les courtiers utilisant cette technologie.
  • La Financial Industry Regulatory Authority’s (FINRA) Registration for High Frequency Securities Traders de 2015. La FINRA est responsable de la supervision de pratiquement tous les courtiers opérant sur les marchés financiers ; elle est surveillée par la SEC. Depuis 2015, les THF ont l’obligation de s’inscrire à la FINRA. Ces derniers sont soumis à plusieurs examens et leurs comportements sont régis par des règles qui prévoient qu’à partir du moment où il y a manquement de conduite observé par le régulateur, le THF pourra être sanctionné.

En Europe, les textes équivalents sont bien plus récents avec la directive MIF 2 (Marchés d’Instruments Financiers) adoptée en 2014 mais entrée en application le 3 janvier 2018, et le règlement MAR (Market Abuse Regulation) en vigueur depuis le 3 juillet 2016. Ces deux textes prévoient certaines dispositions destinées à encadrer le THF.

La directive MIF 2 a pour but d’améliorer l’efficience, la résilience et l’intégrité des marchés afin de « garantir l’égalité des conditions de concurrence sur les marchés financiers et de permettre à ceux-ci de servir l’économie, au soutien de la croissance et de l’emploi ». La réglementation MAR, quant à elle, compte parmi ses objectifs la lutte contre les abus sur les marchés financiers et l’interdiction de manipuler les indices de référence. Elle prévoit également le renforcement des pouvoirs des régulateurs européens (surveillance, enquête et sanctions).

Pour encadrer leur pratique, les textes exigent des THF un agrément pour pratiquer leurs activités, et prévoient la mise en place d’une obligation d’enregistrement chronologique des ordres passés (exécutés et annulés) par les THF, ainsi qu’un Order to trade ratio (OTR) (ratio qui détermine un seuil d’ordre minimum à exécuter).  MIF 2 prévoit également d’harmoniser le « pas de cotation » (l’écart minimal entre deux prix directement consécutifs affichés sur le marché), afin de réduire l’intérêt de passer des ordres agressifs purement spéculatifs. Les algorithmes des THF cherchent en effet ,avec ce type d’ordres, à réaliser des gains unitaires microscopiques, à plusieurs chiffres après la virgule, mais effectués à une fréquence tellement élevée qu’ils permettent des profits substantiels. Dans le même ordre d’idée, la Deutsche Börse (la bourse allemande) testera à compter de juin 2019 des « ralentisseurs  de vitesse d’ordres » passés sur sa plateforme de dérivés, imposant une pause d’une milliseconde aux ordres agressifs, dans le but de permettre aux autres participants du marché, moins rapides que les THF mais fournisseurs de liquidité, d’avoir plus de chances d’ajuster leurs ordres aux conditions du marché.

La taxation du trading à haute fréquence est souhaitable, mais difficile à mettre en œuvre

Dans la mesure où son apport de liquidité au marché des actions est discutable, que ses interventions peuvent provoquer une défiance vis-à-vis de ce dernier de la part des investisseurs et que ses gains peuvent être assimilés à des rentes générées par une avance technologique procurant un avantage concurrentiel inéquitable, le THF pose la question de son utilité réelle et donc de sa taxation.

John Meynard Keynes, dans sa « Théorie générale de l’emploi,  de l’intérêt et de la monnaie » de 1936, défendait déjà l’idée d’une taxation de la spéculation, estimant qu’elle était le meilleur moyen d’en atténuer la prédominance sur l’entreprise.

En Europe, plusieurs pays ont instauré une taxation sur les transactions financières, notamment le Royaume-Uni, la Suisse, l’Irlande, la Belgique, l’Italie et la France depuis 2012.

Dans les faits cependant, cette taxe reste assez générale puisqu’elle touche les achats d’actions cotées, sans distinction sur le motif de ces achats (investissement ou spéculation), mais en exonérant les petites capitalisations afin de protéger les titres les moins liquides. Par ailleurs, les TTF (taxe sur les transactions financières ) actuellement en vigueur sont quasiment toutes redevables uniquement en cas de transfert de propriété de titres. Comme ceux-ci sont enregistrés en fin de séance à la clôture des marchés, cela exclut les opérations effectuées en cours de séance et donc les opérations initiées par le THF.

En France, la taxe sur les transactions financières (TTF) a été instaurée en août 2012. Son taux de 0,3% s’applique uniquement aux achats d’actions donnant lieu à un transfert de titres, donc ne concerne pas le THF. La loi prévoit bien de taxer celui-ci spécifiquement, à hauteur de 0,01%, mais cela ne concerne que les intermédiaires financiers exerçant leur activité en France et à des conditions telles que cette taxe est facilement contournable. Ainsi, ce volet spécifique de la TTF française est totalement inopérant et les activités purement spéculatives des THF ne sont donc finalement pas taxées.

Deux obstacles pratiques empêchent en effet de taxer les opérations intraday réalisées par le THF :

  • D’une part, dans un environnement financier globalisé marqué par l’absence d’obstacles à la mobilité des capitaux et dans un espace européen garantissant la liberté d’installation, il est concrètement impossible pour un seul pays de taxer certaines opérations financières sans risquer de voir les intermédiaires financiers concernés quitter le territoire national pour s’installer dans un pays ne pratiquant pas la taxation. C’est la raison pour laquelle l’instauration d’une TTF au sein de 10 pays de l’Union européenne est actuellement discutée.
  • D’autre part, il n’est pas aisé de distinguer les opérations purement spéculatives des autres opérations sur les marchés financiers. Il n’existe pas encore d’informations fiables sur les transactions boursières permettant de repérer celles qui proviennent des THF. Actuellement, les informations permettant de collecter la TTF française sont en effet collectées par le dépositaire Euroclear, qui centralise l’information à partir des soldes des achats et des ventes effectuées en fin de journée, mais qui ne dispose pas de données sur les opérations réalisées au cours de la journée par les THF.

 

Pour aller plus loin, visionnez notre vidéo : Le marché des actions

 

 

 

 

 

 


Explorez aussi...

Publié le 25 Mars 2019. Mis à jour le 04 Mars 2023