L’installation de la Cité de l’Économie dans l’hôtel Gaillard est l’occasion de découvrir un bâtiment unique, classé monument historique, et d’en apprécier les particularités tant en façade qu’à l’intérieur.

La demeure d’Émile Gaillard, un bâtiment « féerique »

L’hôtel Gaillard dresse sa façade place du Général-Catroux et, dans ce XVIIe arrondissement de Paris où domine la pierre de taille, il se distingue par ses toits élancés et ses fines tourelles surplomblant des murs de briques. Le bâtiment, conçu à la fin du XIXe siècle, surprend toujours par sa radicalité. Il étonna et enchanta ses contemporains qui le qualifièrent de « merveilleux », « magnifique », « étonnant » et « féérique ». Cette architecture originale avait en effet de quoi surprendre. Elle n’était pas due au hasard et correspondait pleinement au souhait de son commanditaire, Émile Gaillard.

Un quartier sur mesure
En 1878, Émile Gaillard achète deux terrains contigus à la plaine Monceau. Anciennement zone de pâturage et de cultures maraîchères, la plaine s’urbanise à la fin du XIXe ; des hommes d’affaire avisés investissent et y achètent des parcelles pour les revendre. Le quartier a de solides atouts : il est bien desservi par le boulevard Malesherbes et l’avenue de Villiers ; il y a de la place, c’est chic, bourgeois et bien fréquenté, notamment par des artistes. Claude Debussy, Sarah Bernhardt y ont leur résidence. Cet environnement convient tout à fait à Émile Gaillard, car tout banquier qu’il est, il n’en est pas moins passionné par l’art. Son habitation de la rue Daru étant devenue trop exigüe pour contenir son importante collection d’objets d’art du Moyen Âge et de la Renaissance, il confie à l’architecte Jules Février l’édification d’un hôtel particulier.

Sur la parcelle acquise, Émile Gaillard fait édifier sa demeure et, pour rentabiliser son investissement foncier, il fait construire deux hôtels particuliers adjacents, l’un donnant sur la rue Berger, l’autre sur la rue de Thann. Ils forment ainsi avec l’hôtel Gaillard un U, enserrant une cour destinée aux équipages. Ces beaux immeubles de rapport se distinguent du « Château » par une architecture typique de la fin du XIXe siècle. Les trois ensembles se trouvent aujourd’hui réunis et communiquent. À la différence des hôtels particuliers classiques, l’édifice ne se cache pas derrière un grand porche, l’entrée donne sur rue et non pas sur cour. L’hôtel Gaillard affiche sa magnificence.

Une grande demeure bourgeoise
Le bâtiment témoigne du statut social de son propriétaire et de ses goûts artistiques. Il répond à trois besoins : loger une famille, recevoir avec faste et mettre en valeur une collection exceptionnelle, dans un cadre adapté. Les pièces de service sont situées au rez-de-chaussée. Les appartements privés, à l’entresol, desservis par l’escalier d’honneur comprennent : la salle à manger, quatre chambres et leurs salles de bain. Au 1er étage se trouvent les pièces de réception, richement décorées : le petit salon, le grand salon et la galerie de tableaux. C’est là qu’Émile Gaillard présente ses plus belles pièces : faïences de Bernard Palissy, tapisseries des Flandres, statues et coffres Renaissance. Le 2e étage est réservé à son fils aîné, Eugène.

 

Un patrimoine original, Œuvre de l’architecte Jules Février

Un patrimoine original, construit entre 1878 et 1884
Tout le monde reconnaît dans ce chef d’oeuvre de l’architecture néo-Renaissance, une ressemblance avec les châteaux de la Loire. La presse de l’époque hésite sur le terme convenant à sa désignation : « Faut-il donner le nom d’hôtel, de château ou de palais, à la splendide construction que vient d’élever [...] Monsieur J. Février, pour Monsieur Gaillard, banquier à Grenoble ? »(1), se demande Cl. Périer dans les pages de La Semaine des Constructeurs. Pour être plus précis, l’hôtel Gaillard s’inspire des châteaux de Blois et de Gien, édifiés respectivement aux XVe et XVIe siècles, et plus précisément de l’architecture de l’aile Louis XII du château de Blois.

Le château de Blois, la référence
Plusieurs facteurs ont contribué, au XIXe siècle, à faire de Blois la référence en matière architecturale. C’est une des plus belles résidences royales. Louis XII a transformé ce château- forteresse en un palais et fait construire, entre 1498 et 1503, une aile caractéristique de la « Renaissance à la française ». Ce style associe des éléments gothiques de la fin du XVe siècle et des innovations Renaissance venues d’Italie ou d’Europe du Nord. Au milieu du XIXe siècle, le patrimoine est officiellement mis à l’honneur. En 1840, à l’initiative de Prosper Mérimée (inspecteur général des Monuments historiques, une toute nouvelle instance, créée en 1837), le château de Blois est inscrit sur la liste des monuments historiques et sera restauré avec des fonds d’État par l’architecte Félix Duban. À l’issue d’une longue restauration, il fera l’objet d’un ouvrage très documenté (2), dont saura se servir Jules Février, l’architecte d’Émile Gaillard. Ce dernier est par ailleurs en relation avec Jules Édouard Potier de La Morandière, architecte-inspecteur des travaux de restauration de Blois et sans doute conseillé par lui. Ainsi, l’esthétique de l’hôtel Gaillard a été soigneusement pensée et conçue pour restituer un style, une époque.
  
Un style à la mode
Les choix artistiques d’Émile Gaillard s’inscrivent dans un courant attesté au XIXe siècle. L’architecture du passé séduit alors entrepreneurs et hommes d’affaires. Le romantisme a réveillé le goût pour les arts du Moyen Âge, (en 1830, Victor Hugo publie Notre-Dame de Paris), le style néo-gothique, témoin de l’audace des constructeurs de cathédrales, s’est développé dans l’architecture civile, en France mais aussi Angleterre et en Allemagne.
Enfin, les valeurs de la Renaissance sont symboliquement en adéquation avec les aspirations d’une bourgeoisie ambitieuse, en quête de prestige et dont l’esprit d’ouverture - essentiel à ses affaires - lui fait aimer l’innovation et les influences venues d’ailleurs, d’Italie ou d’Europe du Nord.
Le style « Château » ne se cantonne pas à la plaine Monceau, il est à la mode en France mais aussi de l’autre côté de l’Atlantique et l’on trouve tant en Europe qu’aux USA des demeures inspirées de ce modèle. Ainsi, l’architecte Richard Morris Hunt qui avait étudié à l’École des Beaux arts de Paris, réalisa, à la fin du XIXe siècle, pour George Washington Vanderbilt, un des plus impressionnants pastiches néo-Renaissance inspiré du château de Blois : le domaine Biltmore, près de Asheville, en Caroline du Nord. Cette grande demeure privée est aujourd’hui un musée.

La mise en oeuvre de savoir-faire d’exception
La restauration du château de Blois, ainsi que les constructions néo-Renaissance comme l’hôtel Gaillard, ont contribué à remettre à l’honneur des techniques artistiques spécifiques : l’émail peint, la sculpture sur bois, le verre polychrome, le travail des boiseries. Émile Gaillard et Jules Février ont fait appel à des artistes de renom pour les décors intérieurs - Monsieur Jean, sculpteur rouannais et Monsieur Andrieu pour le travail du bois, et ont sollicité des savoir-faire d’exception, notamment des artisans en charge de la restauration de Blois, comme la manufacture de faïence Loebnitz pour le revêtement des paliers de l’escalier d’honneur.

 

La succursale de la Banque de France 1923-2006

À l’issue d’une transformation en succursale de la Banque de France, l’hôtel Gaillard va connaître à partir des années 1920 une seconde vie, toujours inscrite dans les murs et intégrée au parcours de visite.

1923, L’hôtel Gaillard devient une banque, une mutation en douceur
Malesherbes : l’emplacement idéal pour une succursale bancaire Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Banque de France poursuit sa politique d’expansion par l’ouverture de succursales. En 1920, elle décide notamment la création de trois bureaux de quartier à Paris : place de la Bastille, boulevard Raspail et place Malesherbes. Depuis la fin du XIXe siècle, le quartier de la plaine Monceau a changé : les familles des grands industriels ont remplacé les artistes qui avaient fait son renom au temps d’Émile Gaillard. Ainsi, les Peugeot, les Breguet, les Guerlain, les Michelin, les Haviland… habitent désormais cet arrondissement bourgeois. De fait, la succursale de Malesherbes détiendra les plus gros portefeuilles de titres.

En 1919, la Banque de France fait l’acquisition de l’hôtel Gaillard
Toujours en vente depuis 1904, et n’ayant pas trouvé preneur, l’hôtel Gaillard est bradé, la banque l’achète pour la somme de 2 millions de francs : une affaire, sachant que le coût de construction était estimé à 11 millions. La Banque de France ne se contente pas de la partie « château » et acquiert également l’hôtel de la rue Berger (où résidera le directeur de la succursale). Quant à l’Hôtel de la rue de Thann - qui avait été vendu à l’Union des Femmes de France - il est échangé contre un autre bâtiment situé dans le quartier. Ainsi, c’est l’ensemble de la parcelle Gaillard avec ses trois bâtiments qui devient propriété de la Banque de France.

Des aménagements nécessaires
Transformer ce « château Renaissance » en succursale bancaire nécessite des travaux importants, ils durent 4 ans, de 1919 à 1923. Le chantier est confié à l’architecte Alphonse Defrasse et au décorateur Jean-Henri Jansen. La banque n’entend pas se priver de l’originalité du lieu et de son faste, propres à séduire la clientèle. Toutefois, il ne s’agit plus d’abriter une famille et une collection mais du public, du personnel et des coffre-forts. Le bâtiment doit être fonctionnel et inspirer confiance.
Alphonse Defrasse entreprend les restructurations nécessaires : création d’un hall public (que l’on appelle le hall Defrasse), d’une salle des coffres et de locaux administratifs. L’hôtel de la rue de Thann fusionne avec l’hôtel Gaillard afin de créer de nouvelles salles fonctionnelles.
Les pièces historiques au décor remarquable sont conservées, à l’exception de la galerie de tableaux qui donnait sur la rue de Thann. Le monumental escalier d’honneur desservira désormais les différents services installés dans les anciens appartements et les pièces de réception. Les clients le gravissent pour accéder au bureau de renseignements (ancien petit salon) puis se dirigent vers la galerie des titres pour les opérations boursières, ou dans le hall public où de petits boxes amenagés permettent de s’entretenir avec les employés des différents guichets.

 

Le hall Defrasse et la salles des coffres un ensemble monumental

Un ajout majeur dans la cour intérieure
Pour construire ce qui sera le coeur battant de cette nouvelle succursale, Alphonse Defrasse trouve l’espace nécessaire dans la cour intérieure de l’hôtel Gaillard. Il creuse pour créer une salle des coffres en sous-sol et élève, à l’aplomb, le hall du public, vaste structure en béton armé surmontée d’une voûte en bois, dans laquelle s’insèrent des verrières. L’ensemble est monumental, spectaculaire ; propre à séduire et rassurer les clients, à drainer leur épargne et frapper leur imagination.

La salle des coffres : une protection maximale
Defrasse est l’architecte en titre de la Banque de France, il sait exactement quels sont les besoins d’une succursale bancaire. La salle des coffres est configurée sur deux niveaux avec une mezzanine en coursive, des piliers imposants, 112 armoires fortes contenant 3874 coffres de dimensions variées et des isoloirs mettant les clients à l’abri des regards.
Elle est dotée d’un système de sécurité inédit : protégée par une lourde porte blindée encastrée et entourée d’une douve remplie d’eau, on y accède par une sorte de pont-levis, un plancher coulissant mu par un système électrique. À nouveau l’hôtel Gaillard étonne, notamment le journaliste du Petit Parisien qui évoque les aménagements en ces termes : « murs calculés pour se jouer du fer, du feu et de la poudre : serrures de cylope à clés lilliputiennes… Dans ce caveau, l’oeil de la conscience n’eût pu suivre Caïn ».

Dans le respect de l’esprit du lieu                                                        
Dans les années 1920 domine le style Art déco qui contraste par la géométrie et la monumentalité de ses formes avec la sophistication «renaissance » de l’hôtel Gaillard.
Lorsque Alphonse Defrasse s’attaque au chantier, le bâtiment n’est pas classé, il a toute liberté de bousculer la structure initiale mais il s’emploiera à respecter l’esprit du lieu, en reprenant notamment le registre décoratif. Une attitude qui lui vaudra la reconnaissance de l’architecte Victor-Jules Février: « Non seulement vous n’avez pas dénaturé mon oeuvre, mais vous l’avez parachevée. »
Dans la salle des coffres, la charpente monumentale, en forme de coque de bateau renversée, rappelle celle de l’escalier du puits. La balustrade de la mezzanine reprend le motif de celle de l’escalier d’honneur et de la loggia. Sur les piliers - Art déco par leur volume - Defrasse adjoint en partie haute des décorations néo-Renaissance.
Dans le hall du public, il introduit des motifs décoratifs empruntés à la façade : murs en briques polychromes, corbeaux en pierre sculptée (qu’il a fait mouler sur les originaux). Quant aux verrières, elles rappellent les fenêtres basses de la Collégiale Notre-Dame de Vernon (dans l’Eure).

Le souci du détail
Pour sa nouvelle succursale, la banque ne lésine pas sur la qualité des matériaux et fait appel à des artisans de renom. La célèbre maison Jansen fournit les comptoirs et les isoloirs en bois, en y intégrant les motifs gothiques dits « plis de serviette » que l’on retrouve sur les boiseries de la salle à manger.
Du mobilier néo-Renaissance a été réalisé sur mesure pour aménager les bureaux des cadres de la succursale. L’éclairage, notamment les lustres en ferronnerie du hall du public, a été confié  à l’entreprise Saunier-Duval, spécialisée dans le gaz, en charge des lampadaires des rues de Paris. Après avoir subi plusieurs réaménagements - dans les années 1950, puis à nouveau 20 ans plus tard - pour répondre à la réduction du personnel et à l’évolution des opérations bancaires, la succursale ferme définitivement ses portes le 1er juillet 2006.

(1) Extrait de Le néo-Renaissance en France et la Haute Banque par Antonio Brucculeri, 2016.
(2) Architecture de la Renaissance : le Château de Blois (extérieur et intérieur) par Ernest Le Nail, édité en 1875.


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Publié le 22 Avril 2019. Mis à jour le 12 Septembre 2019