Le terme GAFAM est un acronyme qui désigne les 5 plus grosses entreprises mondiales en termes de capitalisation boursière et qui exercent leurs activités dans le domaine du numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Issues de la révolution digitale dont le démarrage remonte à la fin des années 1970, ces 5 entreprises, toutes américaines, occupent une position centrale et dominante partout dans le monde en matière d’offre technologique et de solutions innovantes à destination du grand public et des entreprises.

Comment les GAFAM ont-ils réussi à s’imposer comme les champions du numérique ?

Les GAFAM se sont développés chacun dans leur activité respective dont ils sont devenus les leaders. Ils se sont répartis, de fait, les principaux segments du marché du numérique dans lesquels ils ont su s’imposer et prospérer grâce à la combinaison de plusieurs facteurs :

  • un ou deux fondateurs visionnaires et charismatiques,
  • une offre innovante toujours à la pointe de la technologie,
  • une stratégie « orientée client », c’est-à-dire fondée sur la satisfaction des utilisateurs,
  • des capacités financières à la hauteur des investissements nécessaires, grâce à l’appui initial des fonds d’investissement américains puis à leur cotation en bourse.

Mais c’est surtout leur formidable capacité à capter et à exploiter les données en provenance de leurs clients - le cœur de leur modèle économique- qui fonde leur spécificité. Au fur et à mesure du développement de leur offre, ils ont ainsi pu construire des bases de données extrêmement riches et profondes, le plus souvent en contrepartie de services fournis gratuitement, qui leur ont procuré un avantage concurrentiel majeur. La richesse des informations contenues dans ces bases permet en effet à Apple, Amazon et Microsoft d’adapter leur offre aux besoins ou attentes des clients ou à Google et Facebook de vendre des données ou des publicités ciblées et hautement stratégiques pour les entreprises qui les achètent.

Les GAFAM ont par ailleurs pu jouer sur les effets de réseau, directs ou indirects, générés par leur offre pour renforcer leur domination sur leurs marchés respectifs et ériger des barrières à l’entrée très élevées pour d’éventuels concurrents :

  • Les effets de réseau directs apparaissent lorsque l’utilité du produit ou du service offert augmente avec le nombre de ses utilisateurs.. C’est le cas notamment pour les réseaux sociaux. Mais, ces effets peuvent aussi s’exercer sur les plates-formes mettant en relation de multiples vendeurs et de multiples acheteurs : plus une plateforme attire des clients vendeurs, plus cela attire les acheteurs, ce qui renforce encore l’attrait de la plateforme pour les vendeurs, et ainsi de suite selon un processus cumulatif. Ces effets de réseau directs sont amplifiés par des effets de « feed-back » positifs. Ainsi, un futur client aura tendance à choisir le réseau dominant car c’est celui qui potentiellement lui offrira le meilleur service.
    Ces deux effets interagissent jusqu’à rendre l’offre (ou la plateforme) incontournable et l’entrée de concurrents sur ce marché de plus en plus difficile.
    C’est comme cela que Facebook s’est imposé dans le secteur des médias avec plus de 2 milliards d’utilisateurs mensuels, et que Google génère plus de 90% des recherches sur internet dans de nombreux pays.
    Microsoft a aussi pu jouer de ces effets de réseau directs dès que son offre Microsoft Office s’est imposée comme la norme en matière de logiciels bureautiques : les entreprises utilisant très majoritairement cette suite logicielle, elles recherchent prioritairement des personnes la maîtrisant. Dès lors, employés et postulants à un emploi ont intérêt à savoir l’utiliser pour conserver leur employabilité.
     
  • Les effets de réseau indirects interviennent quant à eux lorsqu’une offre ou un produit largement diffusés s’accompagne de services ou produits complémentaires qui enrichissent le service initial. Les utilisateurs se voient contraints d’acheter ces produits ou services complémentaires, utilisables uniquement avec la technologie de la marque. Ils sont ainsi verrouillés dans leur choix car les coûts de changement pour passer à une offre concurrente sont élevés. C’est clairement la stratégie adoptée par Apple qui propose désormais des applications (Wallet, Maps,…), des plates-formes de contenus (iTunes, App Store), des services payants (Apple Music, iCloud) ou encore des accessoires uniquement compatibles avec ses matériels (ordinateurs, baladeurs, smartphones).

Mais si les GAFAM dominent leurs marchés respectifs, ils ne sont pas certains d’en demeurer les leaders incontestés. En effet, les marchés numériques se caractérisent notamment par le fait que les coûts d’entrée sont relativement faibles et qu’un concurrent ou un nouvel entrant peut à tout moment proposer une innovation s’imposant rapidement comme une référence et venir ainsi contester la suprématie de la firme dominante. La firme suédoise Nokia l’a par exemple appris à ses dépens sur le marché des smartphones : leader en 2007, elle n’en possédait plus qu’une part marginale fin 2012 du fait de l’offensive d’Apple et de Samsung. Microsoft en a aussi fait l’expérience dans le domaine des ordinateurs personnels : leader incontesté du PC en 2007, la firme a dû céder devant l’attaque d’Apple et de Google dans les mobiles et les tablettes.

Face à cette menace, les GAFAM ont adopté une stratégie à trois niveaux :

  • Un premier niveau est constitué par la recherche permanente de l’innovation afin de constamment offrir aux consommateurs une expérience améliorée et les dissuader de considérer les offres concurrentes. En 2016, les GAFAM ont ainsi dépensé quelques 58 milliards de dollars en recherche et développement. Ces dépenses en R&D permettent par exemple à Amazon, Google, Apple ou Microsoft de développer leur offre dans le domaine des assistants personnels intelligents.
  • Le deuxième niveau comprend des investissements massifs destinés à permettre aux GAFAM de maîtriser toute la chaîne de valeur de leur offre, de la fabrication à la distribution, selon une logique d’intégration verticale : après Apple, Amazon a développé cette même logique en commençant par le matériel (Kindle), puis les services (Amazon music, Amazon Video, Amazon Alexa,…), les articles courants (Amazon Basics) et cherche à mettre en place son propre service de livraison. Google, en plus de son moteur de recherche, propose également de nombreux services en ligne (Gmail, Youtube,…), un système d’exploitation mobile (Android) et les services liés (Maps, Agenda,…), du matériel (Chromcast, Motorola,…) et a même ouvert des boutiques physiques. Microsoft s’est aussi renforcé dans le matériel (notamment dans les tablettes), a développé son propre moteur de recherche (Bing) ainsi que son assistant personnel (Cortana) et a racheté des applications et des plates-formes sociales (LinkedIn, Skype).
  • Le troisième niveau de leur stratégie de défense de leur position dominante passe par le rachat de sociétés innovantes ou de start-ups dont l’offre pourrait créer une rupture technologique et déplacer les usages. Facebook a ainsi racheté Instagram puis WhatsApp et TBH. Mais ces rachats de sociétés peuvent également poursuivre un objectif de diversification et de positionnement sur des marchés à fort potentiel comme par exemple le rachat d’Oculus par Facebook, qui lui a permis de prendre position dans le domaine de la réalité virtuelle, ou celui de YouTube par Google

Combinée aux effets de réseau directs ou indirects, cette stratégie à trois niveaux s’est révélée très efficace pour les protéger de l’accès de concurrents potentiels sur leur cœur de métier tout en leur assurant des niveaux élevés de rentabilité. Les bénéfices records ainsi que les réserves de liquidités ainsi dégagées de leur cœur de métier leur ont permis de diversifier leurs activités et d’investir massivement dans des domaines à fort potentiel : Google et Apple dans la voiture autonome, Facebook dans la réalité virtuelle, Amazon, Microsoft et Google dans le cloud computing, Google, Apple, Amazon et Microsoft dans les enceintes connectées.
Pour autant, les GAFAM ne se retrouvent pas en situation de monopole sur leurs marchés « cœurs » respectifs. Ces marchés présentent plutôt les caractéristiques d’oligopoles avec frange concurrentielle : si les GAFAM captent une très large part du marché, d’autres entreprises subsistent. Par exemple, le moteur de recherche de Google est concurrencé par Yahoo, Qwant, Yandex,…. Sur le marché du commerce en ligne, Amazon doit affronter Ebay , Best Buy, Wal-Mart.com,… Facebook doit compter avec Tencent, Twitter, Badoo,… Apple doit faire face à la concurrence de Samsung, Nokia, Sony, Motorola ou Blackberry sur le marché des smartphones ou à celle de Spotify et Deezer dans la musique en ligne. Microsoft est quant à lui challengé, notamment, par Apple (tablettes, ordinateurs).
Les GAFAM peuvent même se faire concurrence entre eux, leur stratégie de diversification et d’intégration horizontale les amenant parfois à empiéter sur les marchés des uns et des autres. Au-delà de la rivalité entre Apple et Microsoft, les GAFAM s’affrontent dans plusieurs domaines. Ainsi, le moteur de recherche de Microsoft « Bing » veut proposer une alternative à celui de Google. Amazon Music ou Google Play viennent défier l’iTunes d’Apple dans la musique en ligne. Microsoft intervient également dans le domaine des réseaux sociaux avec LinkedIn et Skype concurrençant ainsi Facebook. Par ailleurs, Google et Amazon ont développé le marché des enceintes connectées (Google Assistant contre Alexa) et sur lequel les deux entreprises ont pris une avance très importante sur Microsoft (Cortona) et Apple (Siri).
 

La régulation des GAFAM s’avère nécessaire mais reste difficile à mettre en œuvre

La domination des GAFAM dans le domaine de l’économie numérique soulève la question de l’intensité de leur pouvoir de marché et par conséquence celle de l’insuffisance du niveau de concurrence que cette situation engendre, notamment en raison de pratiques commerciales abusives. Le gouvernement français a ainsi engagé des poursuites relatives au droit de la concurrence à l’encontre d’Amazon auquel il est reproché d’imposer des rapports déséquilibrés avec ses revendeurs pour ses activités sur le territoire national.  Les entreprises françaises vendant sur Amazon et inscrites sur sa plateforme se verraient imposer des règles et conditions excessives, voire des  clauses abusives dans les contrats qui les lient à l’entreprise américaine. Ainsi, Amazon pourrait modifier ou suspendre ses contrats avec ses fournisseurs à tout moment et de manière unilatérale, et pourrait modifier les délais de livraison à sa seule initiative.
 

  • Des poursuites du même type ont également été engagées à l’égard de Google et Apple en raison de l’existence de déséquilibres significatifs entre AppStore et Google Play d’une part, et les startups françaises développeurs d’activité, d’autre part.
    D’une manière plus générale, le fait que les GAFAM aient pu croître sans entrave pose la question de l’adaptation de la législation antitrust américaine aux réalités de l’économie numérique. Par exemple, les outils traditionnels de la réglementation des services, comme le contrôle des prix, sont difficiles à appliquer dans le cas des GAFAM car leur offre repose le plus souvent sur des services ou des produits gratuits en échange de la fourniture d’informations de la part des utilisateurs.
    Quant au démantèlement de ces entreprises – à l’instar de ce qui fut fait aux États -Unis en 1891 avec la compagnie Standard Oil - , il risquerait de pénaliser les consommateurs car le morcellement du marché en une multitude d’acteurs de taille plus petite ne leur permettrait pas de proposer une qualité de l’offre équivalente.
    Trouver le bon compromis entre la nécessité de lutter contre les abus des entreprises du numérique ayant acquis des positions dominantes, comme les GAFAM, sans pour autant porter préjudice au coût et à la qualité du service offert aux utilisateurs s’avère donc délicat.
    L’Union européenne a toutefois mis en place des dispositifs qui peuvent se révéler efficaces pour poursuivre et finalement condamner les comportements abusifs des GAFAM. Ainsi, grâce à la règle du suivi des transactions précédemment approuvées, elle a infligé une amende de 122 millions de dollars à Facebook pour avoir faussement affirmé qu’avec l’acquisition de WhatsApp en 2014 elle ne cherchait pas à combiner ses données avec les siennes. En juillet 2018, Google a été condamné par la Commission européenne à verser une amende de 4,3 milliards d’euros pour pratiques concurrentielles illégales concernant les appareils mobiles Android destinées à renforcer la position dominante de son moteur de recherche.
     
  • Par ailleurs, les GAFAM ont mis au point des stratégies d’optimisation fiscale qui leur permettent d’échapper, dans une large part, à l’imposition de leurs bénéfices réalisés tant aux États-Unis qu’à l’étranger.
    Aux États-Unis, les GAFAM auraient dû s’acquitter annuellement d’un impôt de 35% sur les bénéfices réalisés. Mais, en raison de l’importance des sommes en jeu, leurs dirigeants ont cherché à y échapper. Ils y sont parvenus en exploitant les possibilités offertes aux entreprises internationales par les différents systèmes fiscaux de par le monde.
    Ainsi, grâce à la technique dite du « double irlandais » et du « sandwich hollandais », qui consiste à faire transiter l’ensemble des revenus de leurs activités vers une filiale basée en Irlande où le taux de taxation des bénéfices est très faible puis à transférer ces mêmes revenus sous la forme de redevances de brevets vers une société écran (ou coquille vide) basée aux Pays-Bas qui ensuite reverse les fonds vers une seconde entreprise irlandaise domiciliée dans un paradis fiscal (les Bermudes pour Microsoft et Google, les Iles vierges britanniques pour Apple, le Luxembourg pour Amazon, les Iles Caïman pour Facebook), tout cela sans être fiscalisées du fait des dispositions avantageuses concernant ces opérations spécifiques, les GAFAM ne paient au final qu’un faible montant d’impôt par rapport aux recettes générées : en 2015, le taux d’imposition effectif des bénéfices supporté par les GAFAM variait entre 3,8% pour Facebook et 18,5% pour Microsoft. Par comparaison, le taux d’imposition des bénéfices est de 33,33% en France (il baissera progressivement à 25 % en 2022).
    Les GAFAM ont ainsi pu accumuler des montants très élevés de trésorerie dans leurs filiales basées dans les paradis fiscaux : en 2015, ils se montaient à quelques 200 milliards de dollars pour Apple, 96 milliards pour Microsoft, 43 milliards pour Google, 6 milliards pour Amazon et 2 milliards pour Facebook. C’est notamment avec cet argent que les GAFAM ont pu réaliser les rachats de sociétés innovantes ou disruptives.
    Cette situation pose problème à un double titre : d’une part, ces procédés d’optimisation fiscale privent les pays dans lesquels les GAFAM exercent leurs activités de recettes fiscales conséquentes. D’autre part, cette situation crée des distorsions de concurrence entre ces entreprises du numérique et les autres entreprises qui ne peuvent se prévaloir des règles fiscales spécifiques aux revenus de la propriété intellectuelle et des redevances de brevets.
    Afin de remédier à cette situation, les États-Unis ont inséré une disposition dans la loi fiscale votée fin 2017 qui taxe forfaitairement à 15,5% (et non plus à 35%) les sommes détenues à l’étranger par les firmes américaines si elles acceptent de les rapatrier. Cela permettrait au gouvernement américain de récupérer environ 38 milliards de dollars auprès d’Apple qui a annoncé vouloir bénéficier de cette nouvelle disposition fiscale. Mais ni Google, ni Amazon, ni Facebook, ni Microsoft n’ont pour l’instant indiqué qu’ils en feraient de même.
    La Commission européenne a, quant à elle, proposé de taxer à hauteur de 3% le chiffre d’affaires réalisé en Europe par les entreprises numériques de taille mondiale. Mais, s’agissant d’un projet de directive relatif à la fiscalité directe, l’unanimité des États membres est requise. Or, certains pays, comme l’Allemagne, l’Irlande, le Luxembourg, ou Malte restent  très réticents à l’égard de cette taxe.
    La Commission européenne a par ailleurs réussi à imposer à Apple le versement à l’Irlande de 14 milliards d’euros d’arriérés d’impôt et intérêts au motif que la société américaine avait bénéficié d’avantages fiscaux indus, s’apparentant à une aide publique illégale. Toutefois Apple et l’Irlande contestent cette décision et cette dernière a saisi la Cour de justice européenne. La question du « bon niveau » de taxation des GAFAM n’est donc pas encore tranchée.
     
  • Dans la mesure où leur modèle économique repose sur l’exploitation d’une masse considérable de données en provenance des utilisateurs de leurs produits, les GAFAM font un usage commercial des informations privées qu’ils collectent. Cette situation pose problème car les utilisateurs n’avaient, jusqu’à très récemment, pas nécessairement conscience de cet aspect qui touche directement à leur vie privée. L’affaire « Cambridge Analytica » des mails ciblés envoyés lors des élections présidentielles américaines grâce aux données de millions d’internautes récoltées sur Facebook a aussi mis en évidence le danger potentiel que représente, pour la démocratie, une exploitation de ces données à des fins politiques.
    Face à ce double défi, les gouvernements ont réagi et fait voter des lois qui renforcent la protection des données privées des internautes et des utilisateurs d’application numériques. En Europe, le Règlement Général pour la Protection des Données (RGPD) est ainsi entré en vigueur dans les États membres de l’Union européenne le 25 mai 2018. Il prévoit notamment des sanctions dissuasives pour les entreprises qui manqueraient à leurs obligations en matière de respect des droits et des libertés des personnes. Aux États-Unis, une réglementation similaire a été adoptée par l’État de Californie en juin 2018 et un texte de portée nationale est à l’étude.

Retrouvez ici notre vidéo ludique et pédagogique sur ce sujet !

 

 

 

 


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Publié le 28 Novembre 2018. Mis à jour le 17 Janvier 2022