Bien que son origine remonte au 19e siècle avec les premières expérimentations menées aux États-Unis, la notion de commerce équitable apparaît véritablement à l’issue de la seconde guerre mondiale grâce à des organisations caritatives anglo-saxonnes qui promeuvent un commerce de type alternatif via l’importation des produits artisanaux des pays en développement, puis avec la revendication des pays du Sud exprimée en 1964 lors de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement de pouvoir bénéficier d’échanges commerciaux plus justes plutôt que de l’aide des pays développés. Mais ce n’est qu’en 1988, avec la création de l’appellation « Max Haveelar », que le commerce équitable prend son véritable essor.

La particularité du commerce équitable réside dans le fait qu’il s’agit d’un échange marchand mettant en relation des petits producteurs locaux ou de pays en développement et des consommateurs des pays développés dans le but de rendre cet échange plus juste pour les producteurs que celui qui résulterait du commerce traditionnel, notamment en termes de rémunération.

Le commerce traditionnel impose en effet aux petits producteurs, notamment ceux des pays en développement, d’accepter de vendre leur production à un prix qui leur échappe totalement parce qu’il est déterminé sur des marchés mondiaux ou par des intermédiaires grossistes qui disposent d’un pouvoir de négociation élevé. Or très souvent cette situation aboutit à des prix de vente inférieurs aux coûts de production ou à des rémunérations trop faibles pour que les producteurs puissent en vivre décemment.

Le commerce équitable vise ainsi à rééquilibrer les gains de l’échange au profit des producteurs défavorisés avec l’assentiment des consommateurs, qui acceptent de payer un prix supérieur au prix de marché afin d’accroître le revenu des producteurs et leur permettre ainsi de vivre de leur travail.

Le commerce équitable comme réponse aux imperfections du commerce international

Le commerce international basé sur le libre-échange est d’un point de vue théorique censé bénéficier aux pays qui y participent à condition que ceux-ci se spécialisent dans les productions pour lesquelles ils disposent d’un avantage comparatif. Toutefois, pour les pays en développement producteurs de matières premières agricoles, et qui ont donc vocation à se spécialiser dans ce type de production, l’insertion dans le commerce international traditionnel ne serait pas aussi bénéfique qu’escompté en raison des imperfections qui le caractérisent.

Trois types de dysfonctionnement –ou défaillance de marché- apparaissent à ce titre :

  • En premier lieu le commerce international, notamment celui des matières premières agricoles, ne fonctionne pas comme un marché sur lequel s’appliquent les conditions de la concurrence pure et parfaite censées garantir l’équité des échanges. En particulier, les marchés mondiaux de certaines matières premières agricoles comme le café, la banane ou le cacao se caractérisent par une demande dominée par quelques grands groupes internationaux auxquels font face une offre très atomisée de petits producteurs souvent isolés, sous-informés et dépendants des multinationales pour écouler leurs productions. Le déséquilibre qui découle de ces caractéristiques dans les rapports de force entre l’offre et la demande se traduisent par un pouvoir de marché très important pour les multinationales qui leur permet de peser sur les conditions tarifaires négociées avec les petits producteurs, et exiger d’eux des termes de l’échange défavorables.
  • En second lieu, les prix des matières premières agricoles évoluent souvent de façon extrêmement volatile, à la hausse comme à la baisse, en raison de considérations politiques, météorologiques ou spéculatives. Or, les petits producteurs des pays en développement n’ont pas les moyens de stocker leurs productions durant les phases de baisse des cours et dépendent de toute façon de la vente de celles-ci pour subvenir à leurs besoins. Ils n’ont donc pas d’autre choix que de subir les variations de prix et de vivre dans une situation d’incertitude à l’égard de l’avenir de leurs exploitations alors que bien souvent les prix internationaux ne leur permettent pas de couvrir leurs coûts de revient.
  • Enfin, le commerce international traditionnel de produits agricoles est également source d’externalités négatives environnementales liées, d’une part, à une production fortement intensive destinée à répondre à une demande mondiale croissante et qui recourt abondamment aux fertilisants ou aux pesticides, mais aussi, d’autre part, à une production extensive se traduisant par une déforestation massive dont les populations locales sont les premières à subir les conséquences.

Face à ce constat, l’objectif du commerce équitable est de parvenir à plus d’équité dans l’échange marchand au profit des petits producteurs les plus défavorisés. Cela passe notamment par la recherche d’un rééquilibrage de la relation commerciale entre les petits producteurs et les distributeurs grâce à la création d’associations ou de coopératives de production. Cette recherche d’équité passe aussi, et surtout, par la fixation d’un prix plus juste et plus stable que celui qui résulte de la confrontation entre l’offre et la demande sur les marchés mondiaux et de permettre aux petits producteurs de pouvoir accéder à un niveau de vie décent. À cette fin, le commerce équitable propose aux consommateurs des pays développés d’accepter de payer un prix plus élevé que le prix de marché selon un principe éthique qui en constitue en quelque sorte la contrepartie : c’est la volonté du consommateur de produits équitables de respecter la dignité des petits producteurs et le rejet de l’anonymat du marché qui justifient son acceptation de payer un prix « juste », plus élevé que le prix de marché.

Le juste prix agit ainsi en quelque sorte comme un transfert de richesse, sciemment consenti, des consommateurs des pays développés vers les petits producteurs des pays en développement avec l’idée de compenser les dysfonctionnements du commerce international en intégrant une dimension économique (permettre aux petits producteurs de dégager un revenu de leur activité et d’investir dans leur outil de production) et sociale (leur permettre de vivre décemment avec leur famille) ainsi qu’une aide au développement (pour financer la construction d’infrastructures locales comme des écoles ou des hôpitaux).

Le commerce équitable progresse fortement depuis quelques années

En 2012, le chiffre d’affaires mondial du commerce équitable s’établissait à environ 6 milliards d’euros, alors qu’il n’était que de 1 milliard d’euros en 2003. Dans les pays en développement, le commerce équitable concerne plus de 2 millions de producteurs qui emploient au total une dizaine de millions de personnes. Pour ces producteurs, le commerce équitable s’est révélé être un moyen efficace de lutte contre l’incertitude grâce à la détermination d’un prix à la fois supérieur au cours mondial lorsque celui-ci est faible et stable, de sorte qu’il agit comme un prix minimum garanti. Le fait que les relations commerciales entre les participants s’inscrivent dans des contrats de moyen terme contribue aussi à cette recherche de stabilité.

En France, alors que la consommation de produits équitables par habitant était de 3,30 euros en 2006, le panier moyen est passé à 19 euros en 2018 et le chiffre d’affaires total pour ces produits atteint environ 1,3 milliard d’euros. Le secteur emploie environ 10 000 personnes au sein de 400 entreprises qui sont essentiellement des PME.

La consommation de produits équitables progresse fortement depuis quelques années (+ 121% entre 2013 et 2016, + 22% en 2018) à des rythmes bien supérieurs à ceux de la consommation conventionnelle, signe que les consommateurs français font des choix préférentiels au bénéfice des produits équitables, mais aussi biologiques. Les produits bénéficiant de la double labellisation représentent en effet 84% des ventes de produits équitables de provenance internationale en France, et 47% pour ceux d’origine nationale. La complémentarité entre agriculture biologique et équitable est sans doute un élément particulièrement recherché par les consommateurs parce que ces derniers peuvent associer ces deux dimensions dans une même conception éthico-environnementale, la double labellisation permettant de combiner des garanties de justice économique et de préservation de l’environnement.

La labellisation est indispensable pour instaurer la confiance

Le critère de l’éthique dans les échanges constitue un des fondements du commerce équitable. L’idée étant que les petits producteurs doivent pouvoir entretenir des relations commerciales librement et fixer leurs prix dans le cadre d’une relation équilibrée avec les consommateurs leur permettant ainsi de dégager une rémunération adéquate de leur travail. Il s’agit aussi de favoriser des conditions de production respectant la dignité des personnes et leur environnement.

Afin d’atteindre ces objectifs éthiques, le commerce équitable cherche à organiser une filière de distribution qui établisse les relations les plus directes possibles entre les petits producteurs et les consommateurs, et donc en supprimant autant que possible tous les intermédiaires. Ces derniers sont en effet considérés comme ayant pour but principal l’accumulation du profit dans l’échange commercial, souvent au détriment des intérêts du producteur, ce qui rend cette recherche d’accumulation incompatible avec le respect de la dignité de tous les intervenants dans l’échange.

Mais des relations plus directes entre producteurs et consommateurs, dans lesquelles ces derniers acceptent de payer les produits plus chers que le prix de marché, supposent que ceux-ci aient entièrement confiance dans le fait que le surcroît de prix auquel ils consentent sera bien utilisé à des fins éthiques et au développement des producteurs défavorisés. Le commerce équitable porte ainsi une exigence de traçabilité et de transparence.

C’est la raison pour laquelle le recours aux labels est très important pour assurer la pérennité et le développement du commerce équitable car ce sont eux qui garantissent la traçabilité des produits en envoyant des contrôleurs sur place chargés de vérifier la conformité des pratiques aux normes contenues dans un cahier des charges et définies notamment en référence aux critères énoncés par la Fairtrade Labelling Organizations International. Ces critères portent par exemple sur le versement d’un salaire minimum dans les plantations ainsi que sur le respect des conventions de l’Organisation Internationale du Travail comme l’interdiction du travail forcé ou de celui des enfants, sur l’interdiction d’utilisation de pesticides et des OGM ou encore sur l’existence de contrats de partenariats de long terme avec les producteurs.

En permettant d’assoir la confiance des consommateurs des pays développés, la labellisation a également permis d’élargir le circuit de distribution des produits équitables en leur ouvrant la porte des grandes surfaces. Le label offre en effet à ces dernières une sorte d’assurance de vendre des quantités suffisamment importantes de produits équitables tout en leur permettant de toucher un nouveau type de clientèle.

Les grandes surfaces ont d’ailleurs sans doute joué un rôle déterminant dans le développement des ventes des produits équitables. En France en 2018, elles représentaient quasiment la moitié des ventes d’origine internationale.

 


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Publié le 23 Mai 2019. Mis à jour le 27 Janvier 2022